New Film of Raoul Ruiz
Depuis trente ans, Raoul Ruiz poursuit une carrière dont le moins quel’on puisse dire est qu’elle est prolifique (plus de cent courts et longs métrages à ce jour). Indifférent aux modes, excentrique, parfois exhibé en majesté dans les grands festivals internationaux, parfois distribué très discrètement dans les circuits d’art et essai, son cinéma est une machine célibataire qui creuse le même sillon avec une souveraineté inébranlable.
La Maison Nucingen n’entretient qu’un rapport lointain avec le livre de Balzac qui porte ce titre. La trame évoque plutôt celle d’un roman gothique anglais, modèle d’un cinéma fantastique auquel Ruiz a voulu visiblement rendre hommage. Un homme, dont la femme est atteinte d’un mal mystérieux, gagne au jeu une maison au Chili. Il s’y rend et y rencontre les habitants, des personnages étranges d’origine autrichienne, aux comportements parfois illogiques, aux impulsions inattendues, aux humeurs changeantes, aux affections bizarres. Le fantôme d’une jeune femme morte récemment, notamment, semble hanter les lieux et s’imposer progressivement au couple de nouveaux propriétaires, incarnés par Jean-Marc Barr et Elsa Zylberstein.
Dès leur arrivée, la maison est désignée par la femme de chambre qui accueille les deux personnages principaux comme un lieu exclusivement francophone. C’est que le langage constitue ici, discrètement, le premier facteur déstabilisant pour un spectateur confronté à un usage inattendu de certaines locutions, à un déplacement microscopique du sens, à une suite de répétitions, à un inachèvement récurrent de certaines phrases.
A cette première sensation de déséquilibre par la parole vont s’ajouter diverses apparitions spectrales et la certitude que la mélancolie dont souffre la femme du héros va se repaître de ces visions surnaturelles, si elle ne les déclenche pas.
Humour omniprésent, très élégamment cadré, se nourrissant de références picturales précises (les préraphaélites), dont il saisit admirablement bien l’essence, le film de Raoul Ruiz se rattacherait bien sûr, à nouveau, à cette tradition surréaliste que l’on accole régulièrement, et parfois un peu paresseusement, à son art. Mais le surréalisme de Ruiz devient, avec ce film,un surréalisme qui remonterait aux sources mêmes de son inspiration, à un irrationnel littéraire dont il parvient, avec un humour omniprésent, non seulement à exploiter la substance, mais également à le déranger et à l’inquiéter lui-même, inquiéter l’inquiétant en quelque sorte.
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