L’inattendu succès de « Mélancolie » **fr
Par Phllippe Dagen
see a great slideshow of some of the works from the exhibition
Le succès de l’exposition « Mélancolie, folie et génie en Occident » au Grand Palais à Paris – elle s’achève le 16 janvier – est acquis. Entre Noël et le 1er janvier, la fréquentation est montée jusqu’à plus de 6 000 visiteurs par jour. Au total, plus de 300 000 personnes auront vu l’exposition, soit une moyenne quotidienne de 3 800. Et le catalogue a été en rupture de stock… « Mélancolie » fait l’histoire de l’humeur noire de l’Antiquité aux depressions du XXe siècle. Son succès n’avait pas été prévu par la Réunion des musées nationaux, longtemps réticente face à ce projet piloté par Jean Clair. Elle mettait ses espoirs commerciaux dans « Klimt, Kokoschka, Moser, Schiele », l’exposition viennoise qui s’est tenue simultanément au Grand Palais. Klimt et Schiele bénéficient d’une réputation d’autant plus forte que l’érotisme y entre pour une bonne part : nus, caresses, étreintes.
Le schéma classique était en place : noms illustres, sujets plaisants, affluence assurée. Il a fonctionné, puisque, au soir du 1er janvier, 456 000 visiteurs avaient pénétré dans les salles. D’un point de vue comptable, c’est bien. Moins bien que « Renoir » en 1985 (790 000) ou « Toulouse-Lautrec » en 1992 (654 000) mais mieux que « Vienne, la naissance d’un siècle » au Centre Pompidou en 1986 (450 000).
Les deux expositions du Grand Palais ont été largement saluées par les médias écrits. Mais pour qu’un succès se transforme en triomphe, il faut que les journaux télévisés en parlent vite. Ce fut le cas pour les Viennois. « Mélancolie » n’a accédé aux chaînes nationales que tardivement et brièvement : 3 minutes au 13 heures de France 2, le 2 janvier, pour une manifestation commencée le 13 octobre 2005.
La réussite de « Mélancolie » a été d’abord le résultat d’un bouche-à-oreille très actif. Mais qu’est-ce qui a tant séduit ces visiteurs ? Intituler une exposition « Mélancolie », c’était prendre le risque d’inquiéter ou de décourager un public que les « décideurs culturels » ne peuvent apparemment imaginer autrement qu’épris de plaisirs immédiats et de belles images.
Mais c’était aussi espérer que la connaissance, convenablement mise en scène, saurait séduire. Ce qui s’est produit : aucune salle de l’exposition n’a obtenu un plus grand succès que celle où un cabinet de curiosités de la Renaissance a été reconstitué, avec une multitude d’objets, de gravures, squelette de vampire et dents de loupgarou. Ce théâtre de la science a fasciné par ses côtés bizarres et funèbres. Une exposition peut donc attirer des centaines de milliers de visiteurs sans être monographique ni s’appuyer sur un nom célèbre. En 1994, la réussite de « L’âme au corps », déjà de Jean Clair et aussi au Grand Palais, avait été entravée par la fermeture du bâtiment pour des raisons de sécurité. « Les origines de l’abstraction » (2003) au Musée d’Orsay, des expositions de la Fondation Cartier pour l’art contemporain et de nombreuses réussites en Allemagne, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ont confirmé le phénomène. Le schéma classique n’a pas pour autant cessé de fonctionner mais il ne peut plus passer pour seul efficace.
On veut croire que la leçon ne sera pas perdue et que d’autres expositions thématiques verront bientôt le jour. La deuxième remarque porte sur la defiance qui entourait le projet. L’industrie culturelle française veut s’assurer la rentabilité par des manifestations présumées accessibles au plus grand nombre, telle une exposition Walt Disney au Grand Palais en septembre. Mais il serait temps de se demander si ses critères d’accessibilité sont justes. Et s’il ne serait pas opportun de renouveler autant les sujets que la manière de les traiter : de faire crédit aux visiteurs d’une curiosité plus large et plus profonde. Ces visiteurs ne sont ni sans mémoire ni sans connaissances. Ils deviennent de plus en plus exigeants. Telle est la conclusion, nullement mélancolique, que l’on doit tirer du succès inattendu et réjouissant de « Mélancolie »
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