Le Carre on terrorism
Répondez un peu à cette question, je vous prie. Quand vous tuez cent civils innocents et un terroriste, est-ce que vous gagnez ou perdez la guerre contre le terrorisme ? « Ah, me rétorquerez-vous, mais ce terroriste aurait pu tuer deux cents personnes, mille personnes, plus encore ! » Se pose alors une autre question : si, en tuant cent personnes innocentes, vous provoquez l’émergence future de cinq nouveaux terroristes et leur procurez une base populaire qui jure de leur fournir aide et soutien, garantissez-vous un avantage aux prochaines générations de vos concitoyens, ou vous êtes-vous créé l’ennemi que vous méritez?
Le 12 juillet, le chef d’état-major de l’armée israélienne nous a gratifiés d’un aperçu des subtilités de la pensée militaire de son pays. Les opérations militaires prévues au Liban, nous déclara-t-il, « allaient renvoyer ce pays vingt ans en arrière ». Eh bien, j’étais là-bas il y a vingt ans, et ce n’était pas joli, joli. Après sa déclaration, le général a tenu sa promesse. J’écris ceci vingt-huit jours exactement après que le Hezbollah a enlevé deux soldats israéliens, pratique militaire assez fort courante que les Israéliens euxmêmes ne s’interdisent pas.
Au cours de ces vingt-huit jours, neuf cent trente-deux Libanais ont été tués et plus de trois mille blessés. Neuf cent treize mille sont devenus des réfugiés. Le nombre de victimes israéliennes s’élève à quatre-vingt-quatre morts et huit cent soixante-sept blessés. Au cours de la première semaine du conflit, le Hezbollah tirait environ quatre-vingt-dix roquettes par jour sur Israël. Un mois plus tard – en dépit de huit mille sept cents sorties effectuées par les forces aériennes israéliennes sans qu’elles rencontrent la moindre résistance, et qui provoquèrent la paralysie de l’aéroport international de Beyrouth et la destruction de centrales électriques, de dépôts de carburant, de flottilles de pêche, de cent quarante-sept ponts et de soixante-douze axes routiers –, le Hezbollah porta sa moyenne quotidienne de tirs de roquettes à cent soixante-neuf. Et les deux soldats israéliens qui étaient la raison affichée de toute cette agitation ne sont toujours pas rentrés chez eux.
Alors oui, comme nous en avions été avertis, Israël a fait au Liban ce qu’il lui avait fait il y a vingt ans : il a saccagé son infrastructure et infligé une punition collective à une démocratie fragile, multiculturelle et résiliente qui s’efforçait de réconcilier ses différences confessionnelles et de vivre en bonne harmonie avec ses voisins. Il y a encore un mois à peine, les Etats-Unis faisaient du Liban le modèle de ce que les autres pays du Proche-Orient pourraient devenir. Le Hezbollah, pensait-on avec un optimisme peut-être excessif dans la communauté internationale, allait peu à peu couper ses liens avec la Syrie et l’Iran et se muer en une force politique et non plus purement militaire. Et voilà qu’aujourd’hui l’Arabie entière célèbre cette force armée, la réputation de suprématie militaire dont jouissait Israël est en miettes et l’image dissuasive à laquelle il tenait tant ne dissuade plus personne. Et
les Libanais sont devenus les dernières victimes d’une catastrophe globale qui est l’oeuvre de zélotes égarés et ne paraît avoir aucune issue.
©David Cornwell, 2006.
Traduit de l’anglais par Gilles Berton.
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