Le Monde: Mithra
Mithra
Un culte réservé à une élite militaire
LE TEMPLE de Mithra mis au jour à Angers (Maine-et-Loire) contient des éléments dont les chercheurs ignorent la fonction.Comme ce vase représentant un cerf, dont le museau, percé de trois orifices faisait office de verseur.D’un type inconnu, cette céramique du IVe siècle de notre ère avait-elle une fonction rituelle particulière? «Le mithraïsme est un culte initiatique marqué par le secret qui n’a pas laissé de documentation écrite, explique l’historien et archéologue Christian Goudineau (Collège de France). Nous n’en savons que peu de choses, soit par l’iconographie, soit par les écrits que nous ont laissés des auteurs qui étaient en général assez hostiles aumithraïsme.»Le nom de Mithra est cité dans l’Avesta, l’ensemble des textes sacrés de l’antique religion iranienne. Les plus anciens d’entre eux datent vraisemblablement de l’an mil avant notre ère. Mais le succès de ce dieu oriental dans l’Empire romain est beaucoup plus tardif. Il remonte, selon Plutarque, au Ier siècle avant J.-C.et à la campagne menée par le général Pompée contre les pirates de Cilicie (sud-est de l’Asie mineure).
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Dieu solaire et martial
Par le truchement de ces derniers, parfois fervents adeptes de Mithra, le culte de ce dieu solaire et martial, souvent représenté terrassant le taureau, se serait propagé dans l’armée de Rome, puis au sein de l’administration impériale.De fait, les vestiges des temples dédiés à Mithra sont souvent découverts non loin des casernes – dans les vallées du Rhin et du Danube notamment. Le mithraïsme connaît son apogée dans l’Empire romain aux IIe et IIIe siècles, sous une forme romanisée qui n’a sans doute plus grand-chose à voir avec sa version iranienne.Religion secrète, réservée à une élite sociale et militaire masculine, sa diffusion dans tout l’empire n’a pas suffi à assurer sa pérennité. Paradoxe: le christianisme, fondé sur l’amour de son prochain et la tolérance, n’a laissé aucune chance à ce culte martial célébrant un dieu présumé pourtant par ses fidèles toujours «invaincu»…
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Un dieu iranien à Angers
Les archéologues le savent bien: les plus belles découvertes ne sont pas forcément les plus spectaculaires. Ainsi, de ces modestes 70m2 qui viennent d’être dégagés sur un chantier de fouilles préventives ouvert au coeur d’Angers (Maine-et-Loire), sur le site de l’ancienne clinique Saint-Louis, destinée à laisser bientôt place à un ensemble de logements. La découverte, qualifiée d’«exceptionnelle » par l’archéologue et historien Christian Goudineau (Collège de France), est celle d’un petit temple daté des premiers siècles de l’ère chrétienne et dédié…au dieu Mithra. Seuls une dizaine de tels lieuxdeculteontjusqu’à présent été identifiés sur le territoire français.
Un sanctuaire voué à une divinité solaire iranienne dans le centre de la capitale angevine? Pourle néophyte, cette mise au jour semble d’autant plus incongrue que le culte de Mithra s’enracine aussi loin d’Angers que du début de l’ère chrétienne: il naît sur le plateau iranien, sans doute au IIe millénaire avant notre ère. Ce mithraeum témoignes implement du succèsde quelques religions orientales dans l’Empire romain. Celles-ci se sont livrées une âpre compétition au terme de laquelle une seule – célébrant un jeune Judéen mort en croix – a durablement émergé.
Le mithraeum d’Angers est daté du début du IIIe siècle après J.-C. Il était installé au coeur d’un quartier urbain huppé, comme en témoignent les deux domus et le système de voirie partiellement dégagés par les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) sur les quelque 4600m2 du chantier. En outre, les fouilles montrent que cette partie d’Angers était déjà occupée sous l’empereur Auguste, au tout début de l’ère chrétienne.
«La ville augustéenne est donc bien plus étendue que nous ne le pensions jusqu’ici», it l’archéologue Jean Brodeur(Inrap), responsable de la fouille. Quant au mithraeum, «c’est une grande pièce encavée qui devait se situer sous une riche demeure»: «On peut penser que son propriétaire était un adepte du mithraïsme et qu’il a aménagé en lieu de culte une partie de sa maison, précise-t-il. Nous avons d’ailleurs retrouvé le soupirail qui donnait sur l’extérieur, preuve du caractère souterrain de cet espace.» Cette caractéristique est attendue : le culte de Mithra s’exerçait en secret, en des lieux figurant la grotte où, selon la tradition, le dieu naquit d’un rocher.
Manque cependant un détail. «On sait que le plafond d’un mithraeum représente généralement un ciel étoilé, mais ce détail semble absent ici puisqu’on n’a pas retrouvé de débris d’enduit peint», dit M.Brodeur. Il est toutefois possible que cet élément du décor « ait été réalisé grâce à une simple étoffe», note M.Goudineau.
Auquel cas il n’en demeure rien. Pour le reste, tout y est. L’organisation du sanctuaire est analogue à celle, caractéristique, de la centaine de mithraea connus, de Memphis (Egypte) à Rudchester (Royaume-Uni) et de Garni (Arménie) à Troia (Portugal). Le plan est rectangulaire. Deux banquettes maçonnées de 7mètres de long, disposées de chaque côté de la pièce, permettaient aux fidèles de participer, allongés, aux banquets cultuels.
L’élément déterminant dans l’identification du mithraeuma été la découverte, mi-mars, d’un petit vase votif. C’est un petit gobelet à boire inscrit d’une dédicace à «Mithra, le dieu invaincu».
Par chance, l’objet est bien conservé et le nom de son commanditaire nous est parvenu : il s’agit du « citoyen Genialis ». «Nous pouvons déterminer que cette céramique, datée entre 160 et 230 de notre ère, a été cuite après que la dédicace y a été inscrite, ce qui signifie qu’il s’agit d’un objet commandé pour être dédié au dieu, dit Maxime Mortreau, céramologue à l’Inrap.
Nous savons aussi qu’elle provient des ateliers de Lezoux, près de Clermont-Ferrand.» Une bribe de mot(«amb…») placée après le nom de Genialis offre une autre indication : le commanditaire du vase ne résidait sans doute pas à Angers, mais peut être était-il ambien, c’est-à-dire de la région d’Amiens.
Le petit vase raconte ainsi l’histoire d’un mithraïste du IIIe siècle de notre ère, peut-être parti d’Amiens pour parcourir les 600km qui le séparent des ateliers réputés de la région de Lezoux. Là, il fait réaliser sans doute plusieurs éléments de vaisselle, dont ce vase dédié à son dieu.
Puis il repart, parcourt encore 500km pour rejoindre le mithraeum d’Angers et y faire son offrande. Avant, imagine-t-on, de retourner chez lui au terme d’un périple de plusieurs mois…
D’autres éléments mis au jour dans le mithraeum ont validé l’interprétation des chercheurs. Des dalles en marbre suggèrent que cette grande cave n’était pas destinée à un usage purement domestique ; des fragments de lampes à huile jadis montées sur un lustre, dont là encore les
archéologues découvrent les restes ; des centaines de monnaies, elles aussi offertes au dieu; la tête, très abîmée, d’une statue à l’effigie de Mithra, identifiable au bonnet phrygien qu’il arbore dans nombre de ses représentations. De la statue, qui devait mesurer 1,20 mètre environ, les
fouilleurs trouvent également le socle. Enfin, des ossements de coq, retrouvés en nombre dans les abords immédiats du mithraeum, suggèrent que le sacrifice rituel du taureau, courant dans le mithraïsme, avait ici été, sans doute, remplacé par celui du volatile.
Ces vestiges racontent eux aussi une histoire. Celle d’une interruption soudaine et brutale du culte. «Le visage de la statue a été martelé intentionnellement, dans un acte iconoclaste très violent », raconte M.Brodeur. Des traces d’incendie sont également présentes. Quant aux plus tardives des monnaies retrouvées sur place, elles datent de 392 de notre ère, précisément la date à laquelle l’empereur Théodose interdit les cultes païens dans l’Empire. Jean Brodeur rappelle que la fermeture de ces temples ne s’est pas toujours faite dans une parfaite concorde.
La documentation historique fait par exemple de l’évêque saint Maurille d’Angers, au Ve siècle de notre ère,un féroce détracteur de tous les paganismes: il fit notamment détruire un sanctuaire païen à Chalonnes-sur-Loire (Maine-et-Loire) pour y bâtir une église… Le mithraeum d’Angers fut détruit peut-être selon le même scénario.
Retrouvé 1618 ans plus tard, il devrait bientôt subir une dernière ruine. Les archéologues remettront les clés du terrain à l’aménageur fin août, après dix mois de fouilles.Le béton devrait commencer à couler dès la fin de l’année. A moins qu’une procédure exceptionnelle ne soit mise en oeuvre pour épargner cette petite enclave orientale au coeur de l’Anjou.
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